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La Villeneuve de Grenoble par ses habitants

posté le 29/07/2010 par Pierre Mahey -

Jo Briant : La Villeneuve (Grenoble) en état de siège…mes réactions/mon analyse

Dimanche 18 juillet- 23H15- Villeneuve  : 3ème nuit d’état de siège après la mort de Karim, jeune du quartier de l’Arlequin de la Villeneuve, tué par balle suite à un tir en pleine tête d’un policier, alors qu’il revenait d’une opération de braquage au Casino d’Uriage. Bruit assourdissant d’hélicoptères qui survolent et illuminent le quartier, omniprésence policière avec plusieurs unités de forces mobiles du Raid et du GIPN (ils seraient au moins 300 !). Venant du centre ville j’ai eu droit comme tous les habitants rentrant chez eux en voiture à un barrage et à une fouille systématique de mon véhicule. Place du marché je croise une famille dont les enfants crient apeurés…

Deux jours durant j’ai sillonné le quartier pour constater les dégâts – voitures calcinées, abris bus caillassés..- mais surtout pour rencontrer et écouter les habitants. Réactions certes contrastées qui vont d’une condamnation sans nuances d’une « minorité de jeunes » qui « foutent la merde » et « empoisonnent la vie » du quartier, en brûlant notamment les voitures de leurs voisins de coursive qui en ont tant besoin, à une condamnation tout aussi catégorique de la police qui « a tué sciemment, par racisme, le jeune Karim », en passant par ceux/celles qui mettent tout sur le dos d’une éducation parentale défaillante… Mais tous sont envahis par un sentiment d’écrasement, d’impuissance et de désespoir face à des événements qui vont enfoncer encore davantage le quartier dans la stigmatisation et la souffrance sociale…

Au-delà des faits, ce que je veux dire, ce que je veux crier, avec d’autres habitants, au-delà de ma colère :

1- L’approche et le traitement exclusivement sécuritaires de ce type de « fait divers sont aberrants, surtout avec tout ce déploiement et cet arsenal « anti-terroriste » et guerrier. Depuis plus dix ans la police dite de proximité n’existe plus à la Villeneuve, les policiers n’ont plus aucun contact avec la population, sa seule apparition, sa seule visibilité étant réduite à ces irruptions aussi brutales, massives, spectaculaires qu’aberrantes qui ne peuvent provoquer que haine et volonté d’en découdre. Un type d’approche et de « traitement anti-criminalité » qui ne peuvent que dégrader toujours plus l’image et la perception de ce quartier.

2- Les causes ? Il est tentant, et si facile, de désigner une « minorité de jeunes » qui seraient à la base de l’économie parallèle, du trafic de drogue et des incendies réguliers de voiture. Explication réductrice et paresseuse qui évite de se poser les vraies questions : comment expliquer que le quartier de la Villeneuve, dont la création remonte aux années 72 sur la base d’une utopie collective qui a effectivement été essayée et réalisée partiellement jusqu’aux années 90, se soit à ce point« ghettoïsé », appauvri, dégradé à ce point ? Pourquoi cette concentration progressive d’une population de plus en plus précarisée, en grande majorité d’origine immigrée, en état de grande souffrance économique et sociale, notamment les jeunes dont au moins 50% sont sans emploi et sans aucune perspective ? Avec la fuite parallèle d’une proportion significative de la classe moyenne intellectuelle, dont je fais partie, dont beaucoup d’éléments n’ont pu supporter cette dégradation ?

Les causes sont certes nombreuses, mais pour l’essentiel il faut citer le projet architectural de départ qui, malgré nombre d’équipements socio-culturels d’accompagnement, créait bel et bien les conditions d’un ghetto, la politique urbaine de la Ville de Grenoble qui a privilégié la création en région grenobloise de secteurs d’emploi à « valeur fortement ajoutée » faisant appel à des ingénieurs, cadres supérieurs…ce qui a eu pour conséquence une augmentation notable du prix du m2 et des loyers au centre ville et de raréfier les logements sociaux accessibles aux classes populaires. Avec l’absence d’une politique volontariste de maîtrise du montant des loyers. Il faut ajouter une cause structurelle plus déterminante : la panne de l’ascenseur social, la montée massive du chômage, la précarisation croissante des jeunes, l’accentuation de la ségrégation urbaine, autant d’effets directs du capitalisme néo-libéral, avec des effets particulièrement dévastateurs dans des quartiers populaires comme celui de la Villeneuve.

3- La solution, même si elle peut être intéressante, ne saurait se réduire, comme le réclame Michel Destot, maire de Grenoble, à un « Grenelle de la Sécurité ». Oui, certes, à un rétablissement de la police de proximité, oui à une rupture avec ces opérations spectaculaires et terrorisantes qui ne font gu’aggraver le mal… Mais l’essentiel n’est pas là. C’est bien à toute une politique économique, sociale, urbaine secrétée par un système capitaliste et un libéralisme destructeurs et profondément inégalitaires, qu’il faut s’attaquer. Ainsi qu’à des logiques sociales et urbaines discriminatoires et, disons-le, racistes. Si un tel fait divers, aussi tragique soit-il ; s’était produit dans un quartier du centre ville, ou à Meylan, ou encore à Seyssinet, aurait-on envoyé tous ces « Robocop », ces centaines de policiers sur-armés, avec hélicoptères, aurait-on procédé à un encerclement systématique de ces quartiers, à des barrages, à des fouilles systématiques des véhicules et des personnes ? On ne pourra pas empêcher les habitants de la Villeneuve de penser que des dispositifs aussi guerriers et terriblement traumatisants, humiliants sont précisément arrêtés pace qu’il s’agit d’un quartier à forte composition immigrée. Je le dis avec colère et conviction : ce type de « traitement » est l’illustration bien réelle d’un rejet, d’une stigmatisation, d’une discrimination qui ne disent pas leur nom. La population de la Villeneuve, notamment les jeunes, comme celle des quartiers populaires, comme celle de Villiers le Bel ou de Saint Denis en région parisienne, sont bel et bien victimes d’une triple discrimination, sociale, économique et raciste. Tant qu’on ne s’attaquera pas à ces racines d’une exclusion terrifiante et dévastatrice, on ne fera au mieux que différer des explosions de plus en plus inévitables.

4- J’ajoute, pour ne pas terminer sur une note exclusivement négative, que nous sommes un certain nombre de militants qui vivons sur ce quartier, qui apprécions fortement cette richesse sociale et multiculturelle, même si elle est nettement moindre qu’il y a vingt ans, déterminés à y rester, à maintenir à tout prix le contact avec une population en état de très grande souffrance psychologique et sociale, à créer les conditions d’un mieux vivre ensemble, sans oublier les causes socio-économiques et politiques. Un défi qui peut paraître insensé voire suicidaire mais auquel il est hors de question de renoncer.

Alain MANAC’H: Mon village est en guerre.

Y a deux mecs… des bandits, des gangsters, pas des petits voyous mais des gars qui ont déjà de l’expérience de la pratique et qui ont été diplômés par les séjours en prison… D’ailleurs ils sont déjà fichés pour des coups tordus des braquages. Ils sont en manque de quelques choses. Sans doute d’une raison de vivre, mais laissons cela… pour l’instant il leur manque de la tune… comme souvent dit on à cette époque de l’année : il faut assurer les vacances. Ou y a-t-il de l’argent. Ils n’ont pas l’envergure de monter un gros coup. Ils parent au plus pressé. Uriage à 20 kilomètres de Grenoble un casino en ce début d’été les touristes sont là et donc y a du blé. Ils s’arment en « guerriers » pas avec un pistolet en savon… mais avec des gros trucs méchants… Quand on part comme cela c’est qu’on est déterminé, prêts à tout.

Le coup fait… ils ont sortit 20 000 €. Autant dire rien… une fois qu’ils auront payé tout ce qu’il faut pour les faux frais de ce genre de connerie… ils seront certainement à nouveau endettés… Bon. Et puis de toute façon rien ne marche… ils sont pris en chasse par la Police. Pas la gendarmerie ni la petit police NON c’est la BAC (Brigade anti criminalité) qui est là et qui entre en scène. Les mecs sont dangereux, fous certainement… Mais la BAC aussi.

Et le reste est un jeu vidéo mais réel… je n’y étais pas mais je vois la scène. Le pire c’est qu’évidemment nos deux gros cons de braqueurs rentrent au quartier… mais les flics font des barrages et je vous passe les détails du rodéo. Après avoir blessé un flic… un des deux mecs se fait descendre d’une balle dans la tête au pied de chez lui. Dans une tour de mon village urbain…

Les flics savaient que ces mecs étaient armés et qu’ils étaient prêts à tout, désespérés au point de prendre ce risque fou d’un braquage pour 15 ans de trou voire plus. Alors pourquoi ne pas la faire plus classique et plus fin ? On piste on suit et on interpelle. On calme le jeu pour 20 000 € on ne va pas prendre le risque de mettre le feu aux poudres dans un village si compliqué. Et bien si.

Le mec dans sa panique rentrait chez lui il a été abattu en bas de sa tour…

Ce mort a foutu la merde dans mon village. Et il aurait pu ne pas être mort si les flics étaient plus raisonnables. Pour moi ils n’ont pas fait correctement leur travail, ce ne sont pas des bons professionnels ou alors ils ont des ordres. En plus ils ont réussit la prouesse de faire bouger une soixantaine de jeunes, qui ne sont pas des bandits, ni des gangsters mais qui aiment s’affronter aux flics. Ce ne sont même pas des dealers qui ne sont pas fous et qui ne vont pas prendre le risque de se faire piquer pour une bagnole en feu… Les jeunes de mon village mettent le feu trop heureux d’en découdre, et d’avoir en face des ennemis… le feu mis, quelques uns qui ont des armes les sortent et tirent… cela fait combien de temps qu’on le dit qu’il y a des armes dans les maisons ? Alors voilà. Ça y est on y est. Les gars de la BAC ont réussi en un tour de main à faire la liaison entre le grand banditisme et les jeunes de mon village.
Et la petite racaille est contente. Et la presse est contente de dire tout cela. Et monsieur Hortefeux qui met le feu est content. Il bombe le torse et rajoute encore 150 CRS puis le GIGN puis encore des hélicos avec des gros projos qui tournent au dessus de mon village. Le temps qu’il faudra !

Et voilà maintenant mon village c’est Kaboul ! Allez, j’exagère évidemment, mais comment on va « soigner » ça après. Pauvre éducation populaire.

Alain MANAC’H