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À propos de la démocratie participative

posté le 20/04/2009 par Michel Garcin - Lire l'article de Démocratie et socialisme

La démocratie participative donne souvent des résultats décevants pour les citoyens comme pour les élus. Peut-être parce qu’elle s’efforce de rechercher à tout prix d’illusoires consensus alors qu’elle doit aussi permettre aux divergences de s’exprimer. Comment vivre ensemble sans étouffer les débats de fond ? Cet article de notre camarade Catherine Touchefeu est paru dans la revue « Place Publique » n°14 (Nantes-Saint- Nazaire la revue urbaine).

L’exigence de proximité et de concertation s’exprime régulièrement : qu’une décision soit remise en cause par tout ou partie de la population et le premier argument mis en avant est le manque ou l’absence de concertation. Les articles, les rencontres sur le thème de la démocratie « locale, » « de proximité » « participative » se multiplient. De très nombreuses collectivités locales s’essayent à l’exercice.

Dans le même temps une méfiance importante s’exprime vis-à-vis de toutes les structures mises en place quelles que soient leurs formes. Les collectivités sont suspectées de se livrer à une concertation en trompe-l’oeil, les associations ne sont pas considérées comme représentatives, les syndicats de salariés sont souvent oubliés de ces structures, les habitants seraient obnubilés par leur égoïsme individuel plus que par leur rôle de citoyen soucieux de la vie collective. Chacun peut fournir des exemples concrets à l’appui de ces affirmations.

Pourquoi donc, derrière un vocable que tout le monde utilise, derrière un discours général souvent emphatique, trouve t- on si peu de satisfaction ? Ne serait-ce pas parce que cette question est souvent abordée de manière très consensuelle en occultant trop souvent la question des forces qui pèsent dans les décisions publiques, la question des moyens et des niveaux qu’individus et groupes sociaux utilisent pour se faire entendre ? Si l’on pense que derrière la revendication de la démocratie participative, avec ses maladresses et ses illusions, il y a une aspiration forte à l’égalité, à ce que chacun puisse peser dans la vie publique, comment faire pour avancer concrètement, pour mettre en place des évolutions dans la prise de décision publique qui représentent un véritable progrès et non un rideau de fumée qui occulterait les vrais lieux de pouvoir ? De quel fil conducteur les collectivités et les citoyens peuvent-ils se doter pour éviter la démagogie, et l’auto-affirmation de la représentativité de quelques spécialistes de la concertation ?

Des démarches ouvertes à tous

Il n’y a pas de démocratie sans égalité. Reconnaître ce pouvoir du peuple, c’est considérer que tout le monde a le droit à la parole. Les démarches de démocratie participative devraient donc, me semble-t-il, être ouvertes à tous les habitants. Bien sûr, n’entretenons pas l’illusion que tous y participeront, mais chacun doit sentir qu’il a sa place dans ces dispositifs, et qu’à tout moment ils lui sont ouverts. C’est d’autant plus important que les gens se sentent sans doute moins représentés aujourd’hui, à tort ou à raison, par les associations, syndicats ou partis.

C’est pourquoi les différents dispositifs « fermés », qu’ils le soient par tirage au sort ou par choix des participants, s’ils peuvent être utiles pour éclairer et améliorer la décision publique par d’autres points de vue que celui des techniciens, ne peuvent être qualifiés d’exercice démocratique. En quoi un habitant tiré au sort est-il qualifié pour représenter le point de vue des habitants, considéré alors comme un corps homogène ayant le même type de positionnement ? N’est-ce pas là au contraire une façon de priver des citoyens de la possibilité d’agir collectivement pour leurs idées ? Le panel d’habitants, les individus ou associations désignés par l’organisateur de la concertation sur des critères sociologiques, politiques ou par le tirage au sort, ne risquent-t-ils pas, s’ils sont considérés comme l’expression des habitants, de marginaliser la volonté consciente et agissante des citoyens ? (« les habitants ont été consultés et ils ont décidé » !) ? N’est-ce pas la négation même de l’action politique, moteur pourtant de toute démarche démocratique ?

Ouvrir les dispositifs de démocratie locale à tous est une chose. Réussir à y faire participer des citoyens en nombre en est une autre. Car, sauf à de rares exceptions, il est rare de mobiliser une majorité d’habitants sur la durée. Tous les militants, quelle que soit leur structure associative, syndicale ou partidaire, le savent bien.

Démocratie participative non représentative ?

Un homme, une femme, une voix c’est, malgré les limites entre l’égalité réelle et l’égalité formelle, ce que l’on fait de mieux en termes de dispositif de base d’un système démocratique.

Pour autant, le vote de tous sur tous les sujets est impossible. Dans la vie politique, dans les institutions ou dans l’organisation d’une lutte sociale, il y a toujours une forme de représentation, de délégation de pouvoir faite à quelques-uns. Les élus sont responsables des décisions qu’ils prennent et doivent en rendre compte. Ils sont susceptibles d’être sanctionnés lors des élections suivantes.

Il n’en va pas de même dans les différentes instances de « démocratie participative » telles qu’elles existent actuellement pour les personnes qui participent individuellement ou au nom d’une association et qui ne sont responsables que devant elles-mêmes ou devant l’association qu’elles représentent.

Les instances de participation aujourd’hui ne reposent pas sur une expression majoritaire ni sur un vote organisé de telle sorte que tous les habitants concernés aient les moyens d’y participer ; ils s’appuient sur l’implication (indispensable au bon fonctionnement de la cité) de quelques citoyens. Reconnaître ces limites ne dévalorise en rien la démarche de ceux qui s’y engagent mais devrait permettre d’éviter les propos totalisants du genre : « les habitants ont décidé » ou, à l’inverse : « comme toujours les habitants n’ont pas été écoutés, entendus… ».

L’appel aux experts

La démocratie participative fait surtout appel à une démarche de consensus : quel accord, quel équilibre trouver pour la mise en place de tel projet urbain ? Cela amène, trop souvent, certains tenants de la démocratie participative à appeler de leurs voeux des « experts », des organisateurs « neutres » de la concertation, comme si cette neutralité existait vraiment ! La parole d’un expert peut toujours être contredite par un autre expert. Chacun construit sa pensée à partir de convictions quelle que soit sa volonté d’apparaître le plus neutre possible. Les organisateurs d’une concertation ont souvent eux-mêmes un point de vue sur l’objet de la discussion  ; ils ont de fait une façon d’organiser le débat, de reformuler, de mettre en valeur une pensée qui traduit une certaine conception du débat et des forces en présence. En dernière instance, même s’il s’agit de salariés qui peuvent se revendiquer d’un certain professionnalisme dans l’organisation de la discussion, ils sont forcément dépendants de celui qui les paye pour organiser cette concertation.

Au lieu d’occulter ces réalités, l’enjeu démocratique me semble au contraire d’expliciter la place de chacun, les rapports de pouvoir, d’expliquer qui parle et d’où il parle qu’il s’agisse des élus, des techniciens ou des habitants.

Les études sur la démocratie participative opposent souvent, ou essayent de démêler, ce qui serait de l’ordre de la démocratie octroyée (par les collectivités qui appellent le citoyen à participer) et ce qui relèverait de la démocratie obtenue par les citoyens. La présidence du comité de quartier par un habitant ou par un élu fait l’objet de nombreuses discussions et serait sensée manifester l’importance donnée aux habitants dans ces comités. Un habitant choisi par qui ? Sur quelle base ? N’est-ce pas plutôt, une manière de brouiller les cartes ?

On ne peut demander à une collectivité locale d’organiser l’expression autonome des habitants. On ne peut pas considérer les habitants comme un tout homogène possédant les mêmes intérêts. Des citoyens peuvent s’organiser dans des comités de quartier, dans des associations ou des syndicats.

Ils peuvent former des regroupements ponctuels autour d’un objectif, et chercher ainsi à faire valoir leur point de vue. Une société mobilisée, auto-organisée aurions-nous dit il y a quelques années, c’est bien évidemment souhaitable. Une collectivité peut (et doit) organiser la relation entre elle et les différentes expressions des citoyens de la ville. Chacune de ces démarches est utile à la connaissance des enjeux de la construction du vivre ensemble sur un territoire.

Mais on ne peut pas reprocher à l’une de ne pas être l’autre. Ce n’est pas le rôle d’une collectivité publique d’auto-organiser les citoyens. Elle peut faciliter ce type d’expression citoyenne (aide aux associations, locaux mis à disposition…), mais ce n’est pas à la collectivité de l’organiser au risque de la manipuler !

Apports et limites de la proximité

La démocratie participative est souvent pensée comme démocratie de proximité : on discute de l’aménagement du cadre de vie, on cherche à rapprocher les élus, les techniciens des « administrés » On oublie parfois un peu vite que la proximité peut aussi faciliter les baronnies et les relations de dépendance (le « bon maître » était très proche !).

Cependant elle répond aussi à une aspiration : retrouver une prise sur son environnement proche au moment même où l’on a l’impression d’évoluer dans un univers insécurisant menacé par les secousses de la mondialisation libérale.

Il est vrai que la discussion d’un projet d’équipement de quartier, d’un aménagement de rue, permet à de nombreuses personnes peu habituées aux réunions de s’exprimer à partir de ce qu’elles vivent au quotidien, permet de se connaître et de se parler plus facilement. Dans ce type de réunion, reviennent régulièrement des questions individuelles, des sujets réputés peu exaltants comme le stationnement, la vitesse de la circulation, les crottes de chiens. Certains sont tentés de s’en moquer et de balayer ces questions d’un revers de main.

Et pourtant elles reviennent avec une telle constance qu’elles correspondent bien à une réalité. Qui n’a pas pesté devant une voiture stationnée sur un trottoir entravant la circulation des piétons, ou après avoir, pour la énième fois, nettoyé les chaussures du petit qui s’est étalé dans une crotte de chien ? Il est donc utile de les prendre en compte.

Mais comment faire alors pour dépasser la seule lamentation sur l’incivisme de quelques-uns, nouveaux boucs émissaires qui permettent d’éviter de s’interroger sur son propre comportement  ? Comment échapper à l’appel incantatoire à un changement de comportement des gens ou à un contrôle policier plus important ? Ces questions sont légitimes et il n’y pas de honte à les poser. Elles doivent être traitées mais en essayant toujours de les resituer dans leur contexte de vie collective, sociale. Toute question de la vie quotidienne peut et doit être reliée à une politique publique.

Ainsi, le « manque » de stationnement ne peut pas se réfléchir uniquement au niveau d’une rue mais doit s’intégrer dans une réflexion sur une politique de déplacement à l’échelle de la ville, de la communauté urbaine, sur la place de la voiture et des transports publics au niveau local et national. Cela peut amener à débattre de la question plus globale de la politique des transports au plan européen et mondial, de la place que l’on veut donner au secteur public, des conséquences d’une forme de développement qui malmène les humains et la planète sur laquelle ils vivent.

N’est-ce pas l’enjeu d’une véritable démarche participative que de partir des questions que les gens se posent, de les intégrer à une démarche générale, de mettre en lumière les enjeux et les alternatives possibles et amener chacun à comprendre le débat politique et à s’y impliquer ? Il s’agit bien évidement d’une démarche de longue haleine : tout ne se joue pas dans une réunion ni même dans les seuls dispositifs de quartier, mais cela participe de la constitution d’un débat public, de la formation d’une opinion publique qui doit trouver les chemins de son expression.

Lieu de décision ou de débat ?

Le quartier ne pourra jamais être le lieu de la décision sur de nombreux sujets. Le quartier est un des lieux du débat, rarement celui de la décision. Dans le comité de quartier, on pourra discuter de l’importance de construire du logement social et plus particulièrement dans les quartiers qui n’en n’ont pas. Mais on ne demandera pas aux seuls riverains de décider si oui ou non il faut un logement social à côté de chez eux. Quelle ville voulons-nous ? Faut-il laisser se créer des ghettos de riches ou de pauvres ? Cela concerne bien tous les habitants de la ville.

Si l’on demande aux riverains de décider de l’existence d’un terrain pour les gens du voyage près de chez eux, on peut être sûr qu’il n’y en aura jamais de construit ! Un tel objectif se décide à une autre échelle que le quartier. Mais la discussion se fait avec les habitants qui se savent ainsi respectés et qui sont amenés à se positionner dans le cadre d’un débat plus général sur la place de chacun dans la cité.

La démocratie participative se trouve à la confluence de la recherche d’un consensus (permettant le vivre ensemble) et de l’expression des divergences (indispensable à tout vrai débat politique). Là est toute la difficulté posée à ceux qui s’investissent dans des démarches participatives. Comment ne pas étouffer les vrais débats de fond ? Comment ne pas laisser croire que des habitants votant à droite et des habitants votant à gauche peuvent avoir sur tous les sujets concernant leur quartier un point de vue commun ?

Comment le débat dans les comités de quartier peut-il permettre de mettre au jour et de confronter les différents positionnements  ? Les débats concernant la démocratie et ses formes sont vieux comme la démocratie. Le modèle athénien n’est en rien un modèle pour tout démocrate contemporain. La gauche socialiste a, dès ses origines, débattu de ces questions. Face aux insuffisances de la démocratie formelle, quelles autres formes possibles de démocratie ? Le bilan tragique du stalinisme a permis de réaffirmer l’importance fondamentale du droit, des libertés fondamentales et de la démocratie formelle.

Cela n’a pas clos le débat. Il a repris de l’actualité ces dernières années à l’occasion de l’émergence du mouvement altermondialiste. Au Brésil en particulier, la gauche a cherché, à travers le budget participatif, à donner plus de poids sur l’échiquier politique à des forces qui avaient du mal à se faire entendre.

La participation du plus grand nombre aux débats de la cité est bien l’objectif que nous devons poursuivre. Aidant à la formalisation des politiques publiques, offrant la possibilité à tous d’être informés et acteurs du débat public, les comités de quartier sont un élément de la vie démocratique. Cela ne doit pas occulter les différents autres éléments indispensables à la démocratie : des élections de représentants pour gérer une collectivité, rendant compte de leur mandat, mais aussi la vie associative syndicale, politique qui permet l’expression des oppositions sociales existantes.

Catherine Touchefeu

Catherine Touchefeu est vice-présidente du Conseil général de Loire-Atlantique et ajointe au maire de Nantes. Dans le mandat municipal précédent (2001- 2008), elle était adjointe chargée de la démocratie locale et des relations avec les quartiers. Elle est également membre du comité de rédaction de la revue Démocratie et socialisme.

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