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Mercredi 13 janvier 2016, manifête à Grenoble, ça sert à quoi ?

posté le 17/01/2016 par Pierre Mahey -

18h, rien de spécial, sur la place de la gare, les gens passent, marchent un peu vite, il fait froid, l’hiver va-t-il enfin arriver ?

Il semble que rien n’ait encore commencé. Une ou deux personnes ont des trajectoires plus hasardeuses, elles se repèrent, se cherchent, essaient de comprendre où le rassemblement va se faire, s’il va vraiment se faire.

Un petit groupe se resserre vers la fontaine. Une vingtaine  de personnes. Un ampli arrimé sur un caddy.

Puis on  se reconnaît, on ose se parler, trente personnes se rejoignent, l’ampli diffuse un timide filet de musique. Les personnes rassemblées sont déguisées, beaucoup portent un masque, est-ce une fête qui se prépare ?

Les masques sont des visages de sorcière, de diablotins, ou de simples loups qui cachent les yeux. Tu crois qu’on va nous reconnaître ? On n’a pas le droit d’être là. On doit se cacher ?

Puis rapidement la place est remplie, et plus ils sont nombreux plus ils se reconnaissent, s’embrassent, rient et haussent légèrement le ton. La Batucada cherche ses premiers rythmes, doucement.

Quelqu’un sort un porte-voix, et s’élance, il fait trois phrases, Etat d’Urgence, l’Espace Public est à nous, l’Etat sécuritaire, Etat répressif, allez, allons, marchons! Qui aura entendu ? Qui sait où ils iront ? Mais le mouvement est lancé. Les gens restent groupés et marchent, avancent vers l’avenue.

Les trams s’arrêtent, laissent passer la petite troupe. Ils sont bien plus de cent, encore bien moins de mille. Ils sont bariolés et souriants, étonnés d’être là.

La Batucada prend un peu d’assurance, les marcheurs sont plus déterminés. Une grande fille brune reprend le porte-voix et lance un premier slogan, solidarité aux musulmans… Un grand garçon aux yeux écarquillés grimpe sur l’arrêt de tram pour montrer plus loin sa pancarte ferme et douce à la fois.

Devant une large banderole annonce le principe de la manifête, halte à l’Etat d’Urgence, derrière, en symétrie, comme pour créer un intérieur, une autre banderole. Entre les deux, cinq cent personnes selon les organisateurs ? Tous sourient.

Les rues s’ouvrent, par magie, pas d’accrochage, pas de blocage, tout le monde se salue, le sourire est contagieux. Les passagers du tram ont l’air de s’amuser, le tram est stoppé mais la ville défile quand même sous leurs yeux. Les enfants aux fenêtres dans la ville la nuit, amusés par le petit théâtre déambulant. Un automobiliste fait sonner son klaxon au rythme de la Batook.

Au fait, où sont les flics ? Bien sûr y’a ces deux agents qui sont devant, mais on dirait des policiers municipaux, oui, y’en a aussi deux derrière. Pourtant la circulation s’arrête, comme si la ville entière était prévenue. Plus besoin de masques, plus besoin de foulard, pas moyen d’imaginer maintenant une fin dans la violence.

La ville attendait, depuis plus d’un mois, que l’on ose reprendre l’espace public et simplement marcher ensemble. Et chaque passant remercie ces fous marchants qui rendent à tout le monde ce qui lui manquait tant.

Mais pourtant, que font-ils, ces pantins, ces saltimbanques, à danser sans bruit pour dénoncer un ogre tellement installé ? Peut-on espérer faire tomber l’Etat d’Urgence avec des poupées de son ? Quel sens à cette marche de guignols ?

Le 11 janvier 2015, pas d’Etat d’Urgence après les attentats de CHARLIE et de l’Hyper-cacher. Ce sont 4 millions de pantins qui sont descendus dans la rue et qui ont marché ensemble, pour sortir de la sidération, pour reprendre la main. Mais après le 13 novembre, l’Etat d’Urgence a interdit l’espace public. Le pouvoir avait l’expérience et la conscience que le peuple dans la rue reprend sa propre force, son autonomie et sa liberté de penser et d’agir. Rien n’est plus imprévisible, rien n’est plus subversif. C’est sans doute ça qu’il fallait empêcher après l’horreur des tueries de novembre.

Mais que peut faire cette petite danse, trois petits tours et puis s’en vont dans les rues de Grenoble, pour rendre l’énergie de retrouvaille dont on a tous besoin pour vivre notre époque et sa barbarie ?

Croire que les Mères de la place de Mai en Argentine ne sont pas que des poupées de son inutiles et dérisoires, croire qu’elles ont changées l’humanité, même si elle n’ont presque jamais rien obtenu.

Croire que les enfants qui regardent passer les danseurs de la rue s’en souviendront jusqu’à sortir eux aussi un jour ou l’autre en mémoire de l’image laissée sous leurs fenêtres.

Croire que la joie de marcher dans la rue ensemble est contagieuse.

P.M.

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